Maître Pierre NAITALI vous invite à consulter l’article qu’il a rédigé pour la revue TSA : Pouvoir disciplinaire en l’absence de règlement intérieur
- Le problème posé
Afin de rétablir le bon fonctionnement d’un foyer pour personnes handicapées mentales employant 25 salariés depuis plus d’un an, j’ai été amené, en tant que nouveau directeur, à prononcer des sanctions disciplinaires dont un licenciement. Toutefois, un salarié m’a fait remarquer qu’en l’absence de règlement intérieur, ces dernières ne sont pas valables. Ce règlement est-il obligatoire ? Son absence m’empêche-t-elle de prendre des sanctions ?
- Les solutions
En vertu de son pouvoir disciplinaire, un employeur doit pouvoir contrôler le comportement de ses salariés et, le cas échéant, sanctionner les agissements qui lui apparaissent fautifs. Cette prérogative découle du contrat de travail et, plus précisément, du lien de subordination entre les salariés et leur employeur. Avant la loi du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, l’employeur avait la faculté de prononcer une sanction, dès lors que celle-ci n’était pas interdite par une disposition expresse soit du règlement intérieur lui-même, soit de la convention collective, ce qu’appliquait avec constance la jurisprudence, notamment dans l’arrêt Établissements Poliet Chausson (Cass. soc., 16 juin 1945).
Toutefois, ce pouvoir disciplinaire de l’employeur a été progressivement bridé pour éviter toute dérive et protéger les salariés des éventuels abus. Ainsi, la loi de 1982 a réglementé le contenu et le processus d’élaboration du règlement intérieur, qui doit notamment comporter les règles générales et permanentes relatives à la discipline dans l’entreprise.
Force contraignante
Le règlement intérieur est un document écrit par lequel un employeur fixe exclusivement :
• les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise ;
• les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l’employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu’elles apparaîtraient compromises ;
• les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l’échelle des sanctions.
Par ce document unilatéral, l’employeur se fixe ses propres limites : il devra respecter strictement les règles et les sanctions qu’il aura lui-même définies dans le règlement intérieur.
Cela a été affirmé, pour la première fois, par la Cour de Cassation dans un arrêt du 26 octobre 2010 (Cass. soc., 26 oct. 2010). Il s’agissait, en l’espèce, d’un salarié qui s’était vu notifier une mise à pied disciplinaire de 5 jours ouvrés pour avoir tenu des propos diffamatoires. Invoquant l’absence de précision relative à la durée maximale de ce type de sanction dans le règlement intérieur, ce dernier avait sollicité l’annulation de sa mise à pied. Si les juges du fond ont rejeté cette demande au motif qu’une telle sanction est inhérente au pouvoir disciplinaire de l’employeur, la Cour de Cassation a pris une position toute autre: « dès lors que le règlement intérieur fixe les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur, une sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par ce règlement intérieur ». Ce dernier ne précisant pas la durée maximale de la mise à pied, la sanction ainsi prise par l’employeur a été jugée illicite.
Obligation légale
Dans votre situation, la validité des sanctions prononcées dépend donc tout d’abord de l’obligation, ou non, d’établir un règlement intérieur. Selon l’article L. 1311-2 du Code du travail, l’élaboration d’un règlement intérieur est obligatoire dans les établissements où sont employés habituellement au moins 20 salariés. Le foyer pour personnes handicapées mentales que vous dirigez ayant un effectif de 25 salariés depuis plus d’un an, vous êtes en conséquence soumis à l’obligation d’élaborer un règlement intérieur. Il y a même urgence à agir.
Quid des sanctions prononcées ?
Depuis l’arrêt du 26 octobre 2010, la situation est claire : un employeur ne peut pas prononcer une sanction qui n’est pas prévue par un règlement intérieur ou qui n’est prévue que de façon incomplète. Le non-respect de votre obligation légale de fixer dans un règlement intérieur la nature et l’échelle des sanctions peut donc constituer un frein à l’exercice de votre pouvoir disciplinaire, en ce qu’il ne trouve pas sa légitimité dans ledit règlement. En principe, les sanctions prononcées pourraient donc être annulées par le juge, à l’exception du licenciement disciplinaire qui est soumis à un régime juridique légal (cause réelle et sérieuse, faute grave ou faute lourde). Toutefois, la jurisprudence est venue nuancer cette paralysie du pouvoir disciplinaire de l’employeur, en l’absence de règlement intérieur, dans les cas où une convention ou un accord collectif prévoit, lui-même, des mesures disciplinaires.
La convention collective comme échappatoire
Malgré l’absence de règlement intérieur, des sanctions disciplinaires peuvent être licites dès lors qu’elles sont prévues dans la convention collective que l’employeur applique à ses salariés. Dans un arrêt du 24 novembre 2010 (Cass. soc., 24 nov. 2010), la Cour de Cassation a ainsi reconnu le caractère contraignant des prescriptions en matière de discipline, quelle qu’en soit la source.
En l’espèce, elle a retenu que la suspension, à titre disciplinaire, du contrat de travail d’un salarié pour une durée excédant celle prévue par un accord collectif devait être déclarée nulle. Un employeur ne peut donc pas exercer son pouvoir disciplinaire en s’éloignant du cadre qui lui est fixé soit par le règlement intérieur, soit par une convention ou un accord collectif qui lui serait opposable. La mise en place de ce cadre disciplinaire pourrait découler de façon alternative et non cumulative de l’une ou l’autre de ces deux sources. D’ailleurs, dans une décision du 23 novembre 2012 (CA Toulouse, 23 nov. 2012), les juges du fond ont estimé qu’un employeur pouvait prononcer une mesure disciplinaire, même en l’absence de règlement intérieur, dès lors que la convention collective applicable prévoit des mesures disciplinaires par ordre de gravité, susceptibles d’être prononcées dans le respect des formalités légales.
En l’espèce, les mesures disciplinaires prévues dans la convention collective relevaient du « pouvoir de direction de l’employeur qui pouvait donc les prononcer, peu important qu’il n’y ait pas eu de règlement intérieur au jour de leur notification, l’employeur ne pouvant se voir retirer le pouvoir disciplinaire dont il dispose dès lors qu’en l’absence précisément de règlement intérieur, il n’existait aucun engagement limitatif de nature à délimiter ou interdire lesdites sanctions ».
Plus récemment, notons que, dans une décision du 19 septembre 2013 (CA Toulouse, 19 sept. 2013), la Cour d’Appel a même jugé que l’absence d’établissement du règlement intérieur n’a pas pour effet de « priver l’employeur de son pouvoir disciplinaire et de faire obstacle au prononcé de sanctions disciplinaires prévues par le Code du travail telles que l’avertissement et le licenciement disciplinaire ».
CCN 66
Dans votre cas, si vous appliquez la Convention Collective Nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, les sanctions prononcées peuvent être légitimes. Pour rappel, aux termes de son article 33, « les
mesures disciplinaires applicables aux personnels des établissements ou services s’exercent sous les formes suivantes : l’observation; l’avertissement ; la mise à pied avec ou sans salaire pour un maximum de 3 jours ; le licenciement ». Dès lors qu’elles font partie de cette liste et que vous avez respecté les règles de procédure prévues par la convention collective, les mesures disciplinaires prises à l’encontre de vos salariés sont licites.
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Attention
L’article R. 1323-1 du Code du travail sanctionne la méconnaissance de l’obligation d’établir un règlement intérieur par une amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, soit 750 €. Le contrôle de l’élaboration d’un règlement intérieur dans le respect des règles légales incombe à l’inspection du travail. Celle-ci peut être alertée par toute personne de l’entreprise, notamment les salariés et leurs représentants, afin de dénoncer les carences et irrégularités concernant l’élaboration d’un règlement intérieur. Il faut également noter que les institutions représentatives du personnel (comité d’entreprise et, ou, à défaut, délégués du personnel) doivent être associées à l’élaboration du règlement intérieur, et qu’un manquement à cette obligation pourrait être constitutif du délit d’entrave.