Article TSA : Faire face à un cas de harcèlement

Sep 24, 2013Droit social

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Maître Pierre NAÏTALI vous invite à consulter l’article qu’il a rédigé pour la revue TSA :

 

FAIRE FACE A UN CAS DE HARCELEMENT

 

  • Le problème posé

Je suis présidente d’une association qui gère un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

J’ai  reçu  des courriers de plusieurs salariés qui se plaignent du comportement du directeur. Ils seraient victimes de brimades et de manœuvres d’intimidation. En outre, toujours d’après eux, ce directeur aurait utilisé  les fonds de l’association pour son propre  compte,  en  particulier  pour s’acheter du matériel informatique, peu  de  temps  après  son  arrivée. Ce qui m’inquiète le plus, c’est que je ressens dans les courriers des salariés une grande souffrance au travail.  Une  salariée,  en  arrêt  de travail, m’a indiqué qu’elle envisageait  même  de  se  faire  déclarer inapte. Quelle attitude dois-je avoir ? Faut- il licencier ce directeur ? Jusque-là, il donnait satisfaction, même si, à plusieurs  reprises,  j’ai eu des doutes sur son comportement.

  • Les solutions

Vos salariés se plaignent du comportement du directeur. La maladie de la salariée en arrêt paraît liée au comportement de ce dernier. Les faits reprochés à votre directeur semblent pouvoir être constitutifs d’un harcèlement moral.

  • Vos obligations

Selon  l’article L. 1152-1 du Code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa
santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Toujours selon  le code du travail,  l’employeur doit prendre « toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les  agissements  de  harcèlement moral » (art. L. 1152-4).
Le règlement intérieur (obligatoire si votre Ehpad occupe au moins 20 salariés) doit d’ailleurs rappeler ces dispositions  légales. Le comité d’entreprise, consulté sur ce règlement intérieur, peut également mettre en place des actions de sensibilisation et d’information du personnel, au besoin avec  l’aide d’organismes spécialisés tels que  les agences régionales pour l’amélioration des conditions de travail (Aract). C’est au CHSCT que revient le rôle principal en matière de harcèlement, notamment en procédant à des
enquêtes ou en recourant aux services d’un expert agréé.
Attention,  les  juges sont extrêmement sévères.  Ils  considèrent  que  l’employeur a en  la matière une obligation de résultat. Autrement dit,  le simple fait qu’une situation de harcèlement se  produise  caractérise  un  manquement à son obligation de sécurité
des salariés.

  • Réagir vite

Dès lors que des faits de harcèlement ont été portés à votre connaissance, vous devez donc réagir. Ainsi, je vous recommande de  lancer le plus rapidement possible une enquête au sein de l’établissement. Vous pouvez pour cela faire appel à la médecine du travail et à l’inspection du travail.
Autre solution :  la désignation d’un tiers, afin de favoriser un règlement amiable, conformément à  la procédure  de  médiation  instaurée par l’article L. 1152-6 du code du travail. Le choix du médiateur fait  l’objet d’un accord entre  les parties. Après s’être informé de  l’état des relations entre les salariés qui se disent victimes du harcèlement  et  le  directeur mis  en cause,  il tentera de  les concilier. En cas d’échec,  il  les informera des sanctions encourues.
Il est également  important de réagir rapidement  si  vous  envisagez  de  sanctionner  le directeur. En effet,  les fautes disciplinaires se prescrivent par deux mois à compter de  la connaissance des faits. Ainsi, votre directeur pourrait vous reprocher d’avoir procédé à son licenciement tardivement si vous avez eu connaissance des faits plus de deux mois auparavant.
Les courriers que vous évoquez semblent justifier la mise en place d’une mise à pied à  titre conservatoire et  l’engagement  d’une  procédure  à  l’encontre du directeur. En effet, en le conservant à son poste, vous prenez le risque de voir d’autres salariés se mettre en arrêt maladie, ce qui entraînera une désorganisation de l’établissement. La procédure de mise à pied conservatoire pourra être  lancée en même temps que  l’enquête de  la médecine du travail. La mise à pied conservatoire  peut  également  être  décidée lors de la convocation à un entretien préalable à une sanction. Je vous rappelle que dès lors que vous envisagez une sanction pouvant aller  jusqu’au licenciement, vous devez convoquer le directeur par  lettre recommandée avec accusé de réception, en lui indi quant les motifs de cette convocation.
Vous devez respecter un délai d’au moins 5  jours ouvrables entre la réception de ce courrier par le salarié et la date de  l’entretien. L’entretien doit avoir  lieu pendant  les heures de travail du salarié.
Si le directeur peut faire l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire, dans l’attente des résultats d’une enquête au sein de  l’association, cette mise à pied ne doit pas  cependant  être trop longue ou injustifiée. Sinon elle pourrait  être  considérée  comme
vexatoire et le directeur serait alors en droit de solliciter des dommages et intérêts.
Par ailleurs, vos salariés vous alertent non  seulement  sur  des  faits  qui seraient constitutifs de harcèlement moral, mais aussi des manquements professionnels et des fautes professionnelles du directeur. Il convient bien entendu de vérifier ces faits, et notamment  s’il a effectivement utilisé  les fonds de l’association à des fins personnelles.
Ces  faits pourraient en eux-mêmes constituer un motif de  licenciement pour cause réelle et sérieuse, voire une faute grave, privative d’indemnité de préavis et de licenciement. Toutefois, il convient de s’assurer que ces fautes ne sont pas trop anciennes. Elles pourraient alors être prescrites.

  • La situation de la salariée en arrêt maladie

Il est important de ne pas oublier de prendre en considération la situation de la salariée en arrêt maladie. A priori, elle ne souhaite pas prendre acte de la rupture de son contrat mais solliciter une rupture pour  inaptitude. En  l’état des textes, compte tenu de l’aléa judiciaire, il me paraît périlleux d’envisager une rupture conventionnelle. Il me semble préférable d’envisager effectivement un  licenciement pour inaptitude. Après une absence d’au moins 21  jours pour cause de maladie et en cas d’absences répétées pour raisons de santé, votre salariée devra passer une visite de reprise auprès du médecin du travail qui, à  l’issue de ce premier examen
médical, émettra un avis d’aptitude ou d’inaptitude au poste de travail et pourra faire des propositions de reclassement. En cas d’inaptitude, il convoquera la salariée  à un deuxième  examen  au moins  de  deux  semaines  après  le  premier. Il se prononcera alors définitivement sur l’aptitude ou l’inaptitude de votre salariée, et pourra indiquer les postes sur  lesquels elle pourrait être reclassée.
En qualité d’employeur, votre association a une obligation de reclassement forte, quand bien même  la  salariée serait déclarée  inapte à son poste actuel et à tout autre poste dans votre organisation. Cela nécessite de rechercher des solutions de reclassement,  le cas échéant en écrivant au médecin du travail pour lui demander quels aménagements ou quels postes vous pourriez proposer. Vous pourriez également solliciter par écrit vos chefs de services pour avoir  leur avis sur des postes disponibles. Il est préférable de
soumettre  à  l’avis  du  médecin  du  travail  les postes envisagées ou que vous pourriez proposer. À défaut de trouver une solution de reclassement, vous devrez mettre en œuvre  la procédure de  licenciement, pour  laquelle  je vous conseille de vous faire accompagner par votre conseil habituel. Si dans un délai d’un mois à compter de  la seconde visite de reprise, vous n’avez pas  encore  trouvé des   possibilités de reclassement ou procéder au  licenciement de  la salariée, vous devrez reprendre  le paiement de ses salaires.

  • Attention

Le code du travail protège les salariés victimes ou témoins d’un harcèlement moral. Ainsi aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou  faire  l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou  indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements  répétés de harcèlement moral ou pour avoir  témoigné de  tels agissements ou  les avoir  relatés  (art. L. 1152-2). Cela est vrai quand bien même, en  raison du harcèlement subi,  le salarié aurait un comportement agressif. Il est également prévu que toute rupture du contrat de travail est alors nulle, que la rupture soit à l’initiative de l’employeur (licenciement) ou du salarié (démission). En plus des dommages et intérêts, le salarié peut demander sa réintégration.

 

Pierre NAÏTALI

Avocat au barreau d’Angers

 

 

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